La poésie de janvier 2022

Le papé des champs

Il est là, dans son coin, à l’ombre des glycines
Depuis le grand matin jusqu’au soir qui décline.
A l’heure des repas sa bru qui le bouscule,
Son fils ne veut rien voir et son cœur bascule.

Vers l’écurie voisine parfois il crie « oh ! oh ! »
Quand il entend ruer l’un de ses trois chevaux.
Eux seuls et pour, peut-être, encore combien de temps
Se soumettent à sa voix et au commandement.

Du coin de l’âtre l’hiver à la cour l’été
Il songe avec tristesse à ce qu’il a été.
Il faut bien que survienne l’heure du successeur.
Lui, pour son propre père, a-t-il manqué de cœur ?

De cela c’est bien loin, il ne se souvient guère,
Pour lui c’est maintenant et il se désespère.
D’abord il n’a plus mot. On le consulte plus.
C’est pourtant lui le maître et il n’a rien vendu.

Pour les travaux pénibles il manque un peu de force.
S’il veut trop insister son cœur se désamorce
Mais il a toute sa tête, bon œil et expérience.
Il sait avant son fils comment vient la semence.

De son temps, par les us et les quarts de la lune,
Il semait son blé tendre, taillait sa vigne brune,
Menait la vache au veau, prêtait son étalon
Sans que jamais ne manque et souvent des bessons.

Il pourrait, c’est certain, encore se rendre utile,
Un petit rien par-ci même si c’est futile,
Quelque chose de noble, un conseil d’ancien.
Mais non garder les chèvres comme sa bru voudrait bien.

Il attend dans son coin à l’abri des glycines
Que sa petite fille, tête blonde, si câline,
Le bisouille au hasard dans sa barbe qui pique.
A la mort qui le guette il fait encore la nique.

Louis Monnet

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